
Arthur Guespin confronte sans relâche le corps humain à son traitement de la nature. L’art n’oeuvre pas à assainir, ni éclaircir ce lien ; il participe de l’ambiguïté que la culture et l’agriculture se partagent, et qui réside autant dans l’exploitation des matières et des forces vivantes, que dans la production d’artifices qui enchâssent et déroutent ce que nous nous représentons comme la nature. L’artiste fait de ses origines d’une famille d’agriculteur·ice·s la matière première d’un art au fait de la tragédie environnementale et humaine qu’est l’industrie agroalimentaire. Il importe dans ses installations les formes contrôlées du vivant – abattage, élevage, monture sellée sous l’assise d’un garde – et déroute ensuite notre illusion de contrôle, à travers une série d’irruptions où le naturel résiste à notre contrôle. C’est une salle de fracas d’orage, qui répand une odeur de pluie dans l’espace d’exposition ; c’est la lumière que reflètent comme un flash dans la nuit les yeux d’un faon sur une route.
Dans ce trouble persistant, le monde peut se constituer comme un autre et résister à notre volonté de dévoration. Arthur Guespin ne cherche pas à régler ce trouble en nous livrant une vision appropriable de nos environnements ; il procède au contraire, en employant les armes industrieuses de nos sociétés, à agroalimentariser les oeuvres d’art pour pousser l’artifice jusqu’à ce que le trouble du monde éclate dans nos gestes mêmes de contrôle.
Rose Vidal
Le travail d'Arthur Guespin démontre une maturité esthétique et une force plastique et iconique impressionnantes, qu'il déploie sur une vaste quantité de médium : que cela soit la vidéo, le textile et ou la matière organique Guespin arrive toujours à créer des formes inédites et surprenantes. Sa relation avec les questionnements écologiques ne relève pas d'une infatuation récente, car elle a ses racines dans sa biographie : c'est pour cela que ses oeuvres témoignent d'un rapport ancien et pourtant enchanté avec les vivants non-humains. L'oeuvre qu'il propose pour le Prix Aparté est très réussie d'un point de vue technique comme esthétique. Elle permet aussi de donner à la fleur - que nous pensions connaître - un aspect flottant, magique, mystérieux et de questionner notre rapport à la vie végétale d'une façon très originale.
Emanuele Coccia
Né dans une famille d’agriculteur·ices, une partie de mon travail se passe à la ferme. Il convoque l’instabilité, l’oubli et la mémoire, dans un rapport direct aux territoires et aux pratiques qui l’habitent au rythme des saisons.
Mon désir de rencontrer des technicien·nes, scientifiques, artisan·es doué·es de savoir-faire vient d’un intérêt pour l’industrialisation de nos sociétés. La source de l’ambiguïté de mon travail se situe dans la douloureuse histoire que les personnes et les territoires du monde agricole ont subits et subissent encore. C’est cette sensibilité pour les lieux et les individus qui me pousse à adopter une posture d’observateur.
Je m’intéresse à la puissance poétique contenue dans les phénomènes élémentaires du monde (l’eau, le feu, la terre, l’électricité, la lumière, etc) qu’ils soient industrialisés ou qu’ils soient bruts. L’esthétique de mon travail est emprunte d’une volonté instinctive de contrôle sur ces formes fugaces et immatérielles.
AG